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Frederik Peeters, auteur de bande dessinée suisse
Article mis en ligne le 1er mars 2013
dernière modification le 25 mai 2023
Frederik Peeters, la bd polymorphe, d’albums en albums
 
À propos d’un auteur suisse francophone au nom d’origine flamande, il serait tentant de parler de bande dessinée franco-belgo-helvétique, alors que lui-même préfère parler de bande dessinée européenne. Dessinateur éclectique, aussi bien dans les genres que dans les formats, il vient de recevoir le prix de la série au Festival de la bande dessinée d’Angoulême 2013 pour la série Aâma.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Certains de vos albums sont entièrement écrits à l’encre noire. C’est un choix dû au scénario ?
Frederik Peeters : Non, en fait, à l’origine, dessiner uniquement en noir et blanc était dû au fait qu’avec des amis d’Atrabile, l’éditeur suisse, on éditait nos propres livres et que c’est bien meilleur marché d’imprimer du noir et blanc que de la couleur. La raison est bassement commerciale et peut-être comme les mangas d’ailleurs.
 
Franc-Parler : Vous êtes plutôt plume ou plutôt pinceau ?
Frederik Peeters : Pinceau. Alors, j’ai essayé les deux et pour l’instant, pinceau, toujours pinceau et ça continue. Mais ça dépend du sujet. La seule fois où j’ai utilisé de la plume, c’était pour faire un polar très réaliste et il me semblait que la dureté de la plume et le côté anguleux qui gratte le papier était plus intéressant pour rendre le sang et la sueur plutôt que la douceur des rapports humains.
 
Franc-Parler : Vous oscillez entre bande dessinée intimiste et science-fiction de grande aventure…
Frederik Peeters : C’est ça. Je n’oscille pas. En fait, j’essaie même de faire les deux en même temps et de trouver le bon équilibre.
 

Franc-Parler : D’abord, pourquoi la SF ?
Frederik Peeters : Je cite de plus en plus souvent la phrase de Mœbius mais qui est très pratique et qui dit que la science-fiction est le meilleur moyen de dessiner à l’extérieur les paysages intérieurs des personnages. C’est un très bon moyen de laisser aller son imagination, dans le rendu des décors et des ambiances pour renforcer ce que vivent les personnages. C’est beaucoup plus compliqué de faire ça avec des buildings et des voitures.
 
Franc-Parler : Les gens qui s’intéressent à la science-fiction aiment bien les côtés modernes, l’électronique, l’avancée humaine dans le domaine des sciences. Et vous-même ?
Frederik Peeters : Eh bien moi, je ne dirais pas au contraire mais c’est le moyen de questionner tout ce que vous venez de dire. Pour moi, la science-fiction, c’est le moyen de creuser le rapport compliqué que j’ai avec la société de consommation et l’ultra-technologie.
 

Franc-Parler : Vous utilisez le média papier. Est-ce que vous êtes attiré par le média électronique ?
Frederik Peeters : Pourquoi pas mais si un jour, je réfléchis à une forme de bande dessinée lisible sur des tablettes ou des écrans, alors il faudrait que ça ait une forme différente de ce que je fais là. C’est-à-dire que transposer le travail du livre bêtement sur des écrans, pour moi, n’est qu’une perte de qualité, une perte de temps et une perte de romantisme. Peut-être qu’il y a des choses à faire avec le numérique, mais alors à ce moment-là, il faut réfléchir au support avant de dessiner.
 
Franc-Parler : Sur votre page internet, vous avez fait des dessins de zombies. Cette envie, ça vient d’où ?
Frederik Peeters : La raison est un peu paradoxale, c’est-à-dire que je voulais faire un exercice quotidien à l’aquarelle, pour pratiquer simplement un autre outil que ce que j’utilise d’habitude. Et j’ai réfléchi au sujet parce qu’il fallait que tous les jours, je dessine quelque chose de nouveau. Et le cliché veut que l’aquarelle, ce soit pour les jolis petits décors, les portraits animaliers, des choses comme ça. Et ça m’intéresse, comme très souvent dans tout ce que je fais, de prendre le contre-pied total de ce qu’on attend. Et alors du coup, dessiner la mort, les tripes et le sang avec de l’aquarelle qui est une peinture très douce comme ça, très légère me semblait intéressant. Après, l’idée des zombies, elle s’est affinée. Les idées, c’est très difficile d’expliquer d’où elles viennent quoi. Mais tout d’un coup, on a une idée comme ça et puis on se dit : « Mais pourquoi personne n’a eu cette idée avant ? » Généralement, c’est que c’est une bonne idée.
 
Franc-Parler : L’album qui vous a lancé est plutôt autobiographique. [La vie de votre couple alors que votre compagne est déclarée séropositive.] Peut-on parler dans cet album de « dessin automatique » ?
Frederik Peeters : Non. Le dessin, il est, surtout dans cet album, au service d’un propos et d’émotions. Non, le dessin automatique, c’est quand c’est le subconscient qui prend le dessus sur le conscient. Et moi, c’était différent, je voulais essayer au contraire d’organiser une espèce de brouillard mental et émotionnel. C’est-à-dire, à l’époque où je vivais l’histoire que je raconte dans Pilules bleues, c’était émotionnellement très compliqué, très troublé. Les choses n’étaient pas posées et c’était au contraire un moyen de clarifier. C’est comme quand on gravit un escalier, marche après marche, page après page, on prend de la hauteur comme ça et on sort du brouillard. Le dessin pourrait être automatique parce qu’il est fait très rapidement. Il fallait que ça soit fait dans l’urgence mais c’est au contraire un exercice de rationalisation des sentiments.
 

Franc-Parler : Je finis par la question qui aurait dû être posée au départ. Lorsqu’on est jeune dessinateur, est-ce qu’on peut dès le départ se lancer et vivre de son art ?
Frederik Peeters : Je crois qu’il n’y a pas de règle. Il y a une nouvelle génération en France qui apparaît là maintenant. Ils ont 25 ans et ils vendent des camions de livres. Il y a d’autres gens qui deviennent géniaux à 50 ans. Il n’y a pas de règle. Moi, en l’occurrence, ce qui dirigeait mon entrée dans la bande dessinée, c’était l’envie d’indépendance et de liberté. Alors, du coup, ça prend un peu plus de temps, il faut construire son propre parcours, il ne faut pas faire de concessions. Mais j’ai eu la chance de faire un livre qui tout d’un coup a eu du succès. Ça, ça ne se contrôle pas. D’ailleurs le livre qui a eu du succès et qui a lancé le fait que je suis là aujourd’hui à parler avec vous, c’est Pilules bleues dont on parlait avant et ça n’était pas censé être un livre. C’était censé être une expérience personnelle donc il n’y a vraiment pas de règle.
 
Tokyo, mars 2013
Propos recueillis : Éric Priou
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