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Tony Gatlif, réalisateur du film Swing
Article mis en ligne le 1er février 2003
dernière modification le 25 mai 2023
Tony Gatlif, la mémoire et le présent des Manouches
 
Plus de 750000 Manouches vivent en France, la plupart sont de nationalité française. Que n’a-t-on pas dit ou écrit sur ce peuple peu connu ? La filmographie, elle aussi, pêche par ses stéréotypes que le réalisateur Tony Gatlif n’hésite pas à retourner, avec justesse et humour, dans son dernier film, Swing.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Vous êtes vous-même gitan ?
Tony Gatlif : Oui, je suis d’origine gitane par ma mère.
 
Franc-Parler : Qu’est-ce qu’elle vous a transmis de la culture gitane ?
Tony Gatlif : Tous les films que j’ai faits jusqu’à maintenant depuis 1990. J’ai fait ces films pour transmettre cette culture, pour la montrer aux autres : Gadjo Dilo, Latcho Drom. Et donc, c’est une façon de la communiquer aux autres qui ne la connaissaient pas.
 
Franc-Parler : Il y a de nombreux termes : rom, manouche, gitan, tsigane, etc.
Tony Gatlif : C’est des termes qu’on emploie pour les désigner, il y en a plusieurs. Dans tous les pays, ça change et en même temps, c’est le même peuple. On les retrouve en Turquie, ils s’appellent Tsiganos, quand on va en Italie, c’est Zingaro, Tsiganes à l’Est, Ritanos dans le Sud, mais autrement c’est tous des Roms, c’est le même peuple qui vient de l’Inde.
 
Franc-Parler : En France, beaucoup vivent dans des cités à l’écart…
Tony Gatlif : Oui, avec des Français, avec tous les autres sous-prolétaires de l’époque. Il y a de tout, c’est un mélange. Ils ont été sédentarisés.
 
Franc-Parler : Est-ce que certains continuent de voyager ?
Tony Gatlif : Il y en a certains qui voyagent en France, mais ils voyagent surtout pour les six mois du printemps jusqu’à l’été. En hiver, ils stationnent. C’est des voyages où ils vont travailler comme saisonniers.
 
Franc-Parler : Dans votre film Swing, on retrouve certaines activités traditionnelles des Gitans comme le cannage des chaises. Est-ce qu’il y a d’autres activités de ce genre ?
Tony Gatlif : Ça dépend. Maintenant, il y en a beaucoup qui travaillent dans d’autres domaines. Le cannage, c’était le travail traditionnel, mais maintenant on ne fait plus les chaises, à part dans les marchés.
 
Franc-Parler : Vous abordez le problème de l’analphabétisme. C’est une situation aussi réelle ?
Tony Gatlif : Oui, elle est réelle. Parce que c’est une autre culture. Ils n’ont pas trouvé encore le système de scolariser les enfants qui sont d’autres origines et les intéresser à l’école laïque normale française.
 
Franc-Parler : Vous montrez que la présence religieuse est très importante chez les Gitans.
Tony Gatlif : Oui, mais ils ne sont pas religieux, ils ne vont pas à l’église tous les matins. Ils vénèrent la Vierge Marie parce que c’est la mère, mais ils ne vénèrent pas Jésus. Je ne pense pas.
 

Franc-Parler : La transmission de la culture passe par la musique ?
Tony Gatlif : Oui, c’est la première chose qu’il y a, c’est la musique. C’est la seule chose qu’il y a comme culture.
 
Franc-Parler : Alors les autres choses, comme les vêtements ?
Tony Gatlif : Non, ce n’est pas la culture. C’est une nécessité pour s’habiller. Il y a des traditions, les superstitions, il y a le mariage et tout ça, mais ce n’est pas la culture. La culture, c’est la musique.
 
Franc-Parler : Qui pourrait remplacer l’écriture, l’alphabet ?
Tony Gatlif : Oui, absolument. C’est un moyen de communication. Ils communiquent avec la musique.
 
Franc-Parler : Et les jeunes actuellement, est-ce qu’ils écoutent les musiques traditionnelles ?
Tony Gatlif : Les jeunes préfèrent le rap et tout ça parce que les jeunes n’aiment pas ce qui est archaïque. Ils disent que cette musique est archaïque alors qu’elle est d’une modernité incroyable. Ils sont comme tous les jeunes du monde, un peu dépassés par le monde nouveau, par la modernisation qui va dans tous les sens.
 
Franc-Parler : Vous montrez la symbiose avec la nature, ils vont pêcher les truites, c’est une réalité ?
Tony Gatlif : C’est dans l’Histoire, ça fait partie de l’histoire des Gitans. Ça continue.
 
Franc-Parler : Vous parlez aussi d’une chose qui est peu connue, c’est le génocide.
Tony Gatlif : Oui, le génocide des Manouches, des Gitans, des Tsiganes n’est pas connu en France, et surtout pas dans le Monde, au Japon, pas du tout, alors qu’il y a eu 500000 morts. Et ça, c’est une injustice de l’Histoire, c’est l’histoire oubliée. Et ça, ce n’est pas dans le dictionnaire, on ne le dit pas. mais c’est dans la réalité. On le sait, c’est comme ça. Ça s’est passé. Ça doit être dans le dico.
 
Franc-Parler : En France, il y a un refus des gens du voyage.
Tony Gatlif : Totalement. Il a toujours eu lieu et il continue.
 
Franc-Parler : Pour ceux qui continuent de voyager, est-ce qu’il y a des endroits pour s’installer ?
Tony Gatlif : Non, il n’y a plus aucun terrain de libre. En France, tout est occupé, barricadé. Le monde moderne n’a plus de place et quand ils se garent à la sortie d’un village, ou d’une ville, sur un parking, ils se font chasser. Ils n’ont jamais été tranquilles là dessus.
 
Franc-Parler : Est-ce un refus réciproque, des sédentaires et des non-sédentaires de rencontrer l’autre ?
Tony Gatlif : Je ne crois pas que ce soit si facile que ça. C’est plus compliqué que ça. On ne peut pas généraliser. Il y a des Français qui adorent les Tsiganes, qui aiment beaucoup les voir, qui aiment beaucoup leur parler. Il y en a d’autres qui les haïssent. Il y a des Manouches qui aiment beaucoup voir les autres, il y a des Manouches qui haïssent les autres. Vraiment, on ne peut pas généraliser.
 
Franc-Parler : En tout cas, dans le film Swing, le jeune garçon venu apprendre la guitare est un lien…
Tony Gatlif : Voilà. Lui, il est pur, il n’a aucun préjugé, il est apte à recevoir toutes les choses nouvelles et à connaître ce qu’il ne connaît pas parce qu’il est ouvert. C’est un être accessible.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Est-ce que vous feriez d’autres films sur les peuples non sédentaires ?
Tony Gatlif : Absolument. Je me suis donné une œuvre, mais une œuvre toutes proportions gardées, en toute modestie. Depuis une vingtaine d’années, j’ai montré des populations que personne ne connaissait avec tout l’art de la musique, l’art du cinématographe. Maintenant, je pourrais passer à autre chose. Sur les Esquimaux, je ne sais pas… Les Esquimaux, je ne connais rien, mais je pourrais faire sur les Arabes, par exemple, puisque c’est la moitié de mes origines, ou sur l’exil qui nous concerne tous.
 
Franc-Parler : Qu’avez-vous actuellement dans vos cartons ?
Tony Gatlif : Je ne sais pas encore, je suis vraiment au début. Je finis Swing et puis ça va être sûrement un film de voyage.
 
Février 2003
Propos recueillis : Éric Priou
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