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Jean-Marc Moutout, réalisateur du film Violence des échanges en milieu tempéré
Article mis en ligne le 1er août 2004
dernière modification le 25 mai 2023
Jean-Marc Moutout, réalisateur du film Violence des échanges en milieu tempéré
 
Vous êtes un jeune consultant chez Mc Gregor, tout frais émoulu d’une école de commerce à qui l’on demande lors de son premier emploi de préparer la restructuration d’une entreprise en vue de son rachat, avec tout ce que cela implique en drames humains. Choisir, ça ne se fait pas tout seul, sans contrepartie ainsi que le raconte le réalisateur Jean-Marc Moutout.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Pourriez-vous parler de votre parcours ?
Jean-Marc Moutout : J’ai fait une école de cinéma, je suis français, mais je l’ai faite en Belgique, comme beaucoup de Français. J’ai terminé il y a plus de dix ans maintenant. J’ai un tout petit peu travaillé sur des plateaux comme assistant et en parallèle j’écrivais des courts-métrages jusqu’au moment où j’ai réussi à réaliser un court-métrage en 96 qui s’appelait Tout doit disparaître et qui a eu beaucoup de reconnaissance, beaucoup de prix. C’était déjà sur le monde du travail. À partir de là, j’ai pu enchaîner en moyen métrage et puis j’ai eu ce projet de long métrage avec une société de production, TS Productions. Entre-temps j’ai fait un documentaire et un téléfilm pour Arte. Quand j’ai réalisé ce long, il y a un peu plus d’un an, j’avais déjà un peu l’expérience du long grâce à la télévision. Maintenant, c’est la première sortie en salle. Entre le documentaire et le téléfilm, j’ai mis plus de cinq ans à écrire le long parce que je faisais autre chose en même temps et que l’écriture de toute façon était longue. Et c’est le principe même du premier long métrage, c’est toujours un processus long à faire aboutir.
 
Franc-Parler : Vous comptez continuer sur le même sujet ?
Jean-Marc Moutout : Sur ce sujet, je ne suis pas sûr dans la mesure où court, moyen, documentaire et tout ça, ont été très très forts sur le monde du travail et que par le long métrage, j’ai l’impression aujourd’hui d’avoir abouti à une réflexion là-dessus. Maintenant, je pense qu’on ne change pas du tout au tout et que le rapport à la société en général va rester au centre de ce que j’ai envie de faire.
 
Violence des échanges en milieu tempéré

Franc-Parler : Qu’est-ce qui vous a poussé à traiter ce thème du monde du travail ?
Jean-Marc Moutout : C’est multiple. Je crois que moi-même, j’ai eu pas mal de difficultés vis-à-vis de ça. C’est-à-dire que je l’ai beaucoup rejeté pour faire du cinéma ou je l’ai redécouvert par le biais du cinéma. C’est l’idée de toute façon d’une hiérarchie, d’une règle professionnelle, devenant de plus en plus compliquée pour tout le monde parce que chômage, parce que peur, parce que soumission à des choses de plus en plus difficiles à accepter. C’est ce durcissement-là par rapport à la liberté individuelle et aussi par rapport à une morale au sens large. Disons, à un bienfait de société. Toute cette dialectique qui pourrait être politique ou philosophique. Moi j’ai la trentaine. Ce personnage qui découvre la vie professionnelle, moi-même, je n’en suis pas très loin. J’ai fait ce processus-là. J’ai essayé d’y trouver ma position, je ne l’ai pas trouvée. Autour de moi, les gens qui ne font pas du cinéma le vivent. J’ai l’impression d’être à la fois dedans et un peu plus préservé, à l’écart, en faisant du cinéma. Par le fait même que les auteurs sont les spectateurs de ça. À la fois, on est tous dedans puisque le conflit des intermittents par exemple, c’est complètement ça aussi, cette précarité du travail. En tout cas, disons que le statut du travail qui est absolument central et primordial dans la société et dans l’individu et de plus en plus compliqué est évidemment pour moi porteur de multiples histoires, de multiples conflits.
 
Franc-Parler : C’est également vrai pour une industrie proche du cinéma qui est celle du disque avec les licenciements actuels…
Jean-Marc Moutout : Pareil avec les concentrations de Majors et les artistes que l’on ne renouvelle pas. La rentabilité, la profitabilité qui existent dans les sociétés dites normales, de services ou d’industrie à la fois sont évidentes. Enfin, c’est la norme concurrentielle, mais à la fois, ça fait des dégâts humains énormes et à la fois on la retrouve dans les industries culturelles puisque la logique ou la mentalité qui est derrière est la même.
 
Franc-Parler : Vous avez écrit ce scénario à plusieurs ?
Jean-Marc Moutout : J’étais à l’initiative et j’ai un peu construit la base de ça. C’est-à-dire le consultant, la plongée en entreprise, le premier travail donc ; tous les personnages étaient là. À partir de là, j’ai rencontré Olivier Gorce par la société de production avec qui je travaille et on a longuement construit cette histoire dans les détails via, à un moment une enquête de terrain aussi bien dans une entreprise qui avait fait appel à des consultants que chez les grosses boîtes de conseil dont Mac Gregor figure le modèle. C’est en gros toutes les boîtes américaines qui sont Accenture, Mc Kinsey…Je n’ai pas pu les suivre en mission parce qu’ils s’y refusent mais j’ai pu discuter avec eux, voir comment ils parlaient de leur travail, quelles étaient leurs règles. J’ai lu leur littérature de management. Ça, c’était assez long mais c’est venu nourrir la fiction, les détails, la précision de la mission et de la vie en entreprise. Le documentaire n’a pas été à l’initiative du film mais était là pour préciser, et pour documenter la fiction. Sur un sujet pareil, c’était difficile de raconter n’importe quoi.
 
Franc-Parler : Vous avez des réactions une fois le film monté, projeté en France, de personnes qui travaillent dans des sociétés de consultants ?
Jean-Marc Moutout : Pas mal. On l’a présenté à des étudiants, en école de commerce. Du côté des vraies boîtes de conseil, je sais qu’ils sont allés le voir, certains ont refusé de le voir. Je sais qu’une société de conseil a envoyé un mail à tous ses employés leur disant de ne pas aller le voir. Je n’y étais pas mais on a fait une projection chez IBM consulting et je crois que ça a été assez houleux. On a filmé le débat, mais on n’a pas réussi à récupérer la cassette. Donc, c’est assez sensible pour eux, ce film. Tant mieux. Ça secoue un peu. Je n’ai pas eu la prétention de remettre complètement en cause le système des consultants via le film. Surtout que pour moi, c’est un prétexte exact, à dire tous nos compromis, la mentalité dans laquelle on évolue parce que cette idée de concurrence, de compétition et de dureté vis-à-vis des autres, elle est partout. Le consultant la porte très fortement parce qu’il est au cœur de ça et il est vraiment porteur des théories et des techniques de l’économie actuelle mais c’était pas dire : regardez les méchants consultants et ça ira mieux quand il n’y en aura plus. C’est évidemment pas ça.
 
Franc-Parler : Les étudiants en commerce savent qu’ils seront confrontés à cette situation.
Jean-Marc Moutout : Oui, ils le savent et aussi bien les jeunes consultants le disent que ça existe mais à la fois ils essaient d’y échapper. C’est le problème de mon personnage. Ce qu’il espère, lui, c’est qu’il y a juste des rapports techniques et une évaluation d’outils de performance de la boîte et pas évaluer les gens. Et là où son problème arrive et il est un peu tard pour lui, c’est quand on lui dit : « Non, tu vas trier les gens aussi. » Son vrai problème n’est pas de remettre en cause en gros ce qui amène au licenciement. Son problème c’est d’échapper, lui à la responsabilisation, à la responsabilité qu’il ne peut pas assumer. Et ça c’est vrai que c’est l’ambiguïté de ces jeunes types qui ont en gros une sorte d’aura de l’expert en quelque sorte et sont très fiers de leurs compétences. À la fois très lâches, parce que c’est vrai qu’ils s’abritent derrière des responsabilités supérieures quand ils doivent faire le sale boulot et ils n’assument pas les deux côtés à la fois. Or évidemment ça va de pair. Même si on lui avait pas demandé de faire le tri des gens, son travail aurait abouti exactement à la même chose.
 
Août 2004
Propos recueillis : Éric Priou
 
Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout avec Jérémie Rénier, Cylia Malki, Laurent Lucas ; 2003, France, 99 mn, sortie en France : 14 janvier 2004, présenté au 12e Festival du film français de Yokohama, le 17 juin 2004
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