Jacques Loussier, entre jazz et classiqueQue d’anniversaires ! Jacques Loussier est revenu en décembre 2004, en tournée au Japon après trois années d’absence, célébrant dans la foulée le 45e anniversaire de Play Bach, le disque qui le lança, le 20e anniversaire de la formation de son deuxième trio (piano, contrebasse, percussion) et ses propres 70 ans.Franc-Parler : Vous êtes plutôt prédestiné au jazz ou au classique ?Jacques Loussier : J’étais complètement prédestiné au classique. J’ai commencé par le piano classique. Conservatoire de Paris… donc, un travail classique.Franc-Parler : Vous avez bifurqué en accompagnant des chanteurs comme Charles Aznavour ?Jacques Loussier : Oh non, j’ai bifurqué bien avant ça. Le fait d’accompagner Charles Aznavour et Catherine Sauvage était une période de ma vie où je travaillais comme jeune musicien. Non, ce n’est pas vraiment une bifurcation parce que j’avais pris l’habitude de toujours faire des improvisations quand je jouais de la musique de Bach, tout simplement. Même quand j’étais tout petit et que j’ai commencé le piano, j’étais toujours intéressé par cette musique et par jouer avec la musique et donc faire des improvisations, des choses un peu différentes. Changer…Et à la même époque où j’ai fait ça, il y avait le Modern Jazz Quartet qui m’a donné l’idée de le faire avec un trio. Et en 59, j’ai fait mon premier disque avec Bach avec des improvisations ayant un caractère de jazz, naturellement.Franc-Parler : Vous avez démarré sur des chapeaux de roue, puisque votre premier disque a été un succès…Jacques Loussier : C’est-à-dire que c’était surtout la grosse surprise du demi-siècle. En fait personne n’avait travaillé la question avec Bach comme je l’ai fait. J’étais le premier, donc c’était vraiment à l’époque une révolution. Je dois avoir 4 ou 5 disques d’or. C’était à l’époque où on comptabilisait les disques quand on avait vendu un million de disques tandis que maintenant on a un disque d’or pour 50.000 disques donc ça a un peu changé.Franc-Parler : Vous partez nécessairement d’une œuvre déjà créée ?Jacques Loussier : Je profite de l’occasion pour être inspiré par la musique de Vivaldi, de Bach, de bien d’autres que j’ai faits. Depuis 96, j’ai fait Satie, Debussy, Ravel, j’ai fait récemment un disque sur le baroque avec Haendel, Pachelbel, Marin Marais, des tas de choses amusantes. Mais j’ai par ailleurs mes inspirations propres et j’ai créé aussi beaucoup de choses en tant que musiques propres à moi. Tous les musiciens profitent d’entendre des choses qui leur donnent envie de faire de la musique. C’est comme ça que ça fonctionne.Franc-Parler : Vous avez également fait des musiques de films, vous avez travaillé pour la télévision…Jacques Loussier : J’ai fait un peu de tout. À une époque, je faisais beaucoup d’arrangements pour d’autres musiciens, l’époque 60-64, 65. C’est l’époque où j’ai fait beaucoup de compositions pour la télévision aussi : des choses comme Thierry la Fronde, Rocambole, Vidocq, toutes ces séries télévisées. J’ai fait des musiques de films, des musiques publicitaires, des concertos qui sont assez joués, j’ai fait une messe avec des chœurs, orchestre, soliste. Enfin, c’est une vie complète sur la musique. L’improvisation en fait partie mais comme beaucoup de choses.Franc-Parler : Que voulez-vous exprimer par la musique ?Jacques Loussier : Je veux exprimer simplement les choses que je ressens, les atmosphères et les ambiances que j’aime donner. Une recherche harmonique différente de ce qui se fait d’habitude et surtout essayer de trouver une nouvelle voie qui ne soit pas de la musique classique ni de la musique de jazz mais qui se trouve un peu entre les deux, un peu au milieu. Ce qui fait que ça rend les choses que je fais particulièrement difficiles à classer. Mais c’est ce qui m’intéresse justement, c’est d’être difficilement classable.Franc-Parler : L’improvisation est une chose très importante pour vous bien-sûr… Jusqu’où aller ?Jacques Loussier : On peut improviser tant qu’on a de l’inspiration. Si on n’est pas inspiré, il vaut mieux des improvisations courtes parce que ce n’est pas de la bonne musique. C’est de la musique qui devient inintéressante. Mais quand on est bien inspiré, qu’on arrive à faire une belle improvisation, on est tout heureux. C’est un plaisir simple qu’on peut s’offrir quand on fait de la musique.Franc-Parler : Vous jouez avec les mêmes musiciens. Pour quelles raisons ?Jacques Loussier : C’est pour moi presque essentiel d’avoir une connaissance approfondie de chaque musicien avec qui on joue parce que les improvisations que l’on fait ont un caractère trio. C’est-à-dire qu’en fait il existe trois musiciens et nous avons le même cerveau qui nous dirige, donc on a une homogénéité très forte. Mais en même temps sans qu’on l’ai prévu soi-même, c’est un bien de travailler toujours avec les mêmes musiciens parce qu’on a plus de poids pour faire les improvisations, on est plus solides.Franc-Parler : Vous avez même un studio d’enregistrement…Jacques Loussier : J’ai eu pendant des années un studio d’enregistrement qui continue d’exister mais malheureusement je ne m’occupe plus du studio comme je m’en suis occupé parce que j’ai quitté le midi de la France. Mais il a beaucoup de succès parce que c’est un studio extraordinaire où on a la possibilité d’enregistrer quand on veut. Il n’y a pas d’heures. Dîner, déjeuner quand on veut, il n’y a pas d’heures. Donc, c’est vraiment très agréable et les musiciens qui viennent enregistrer reviennent nous voir très souvent parce que c’est un lieu particulièrement heureux.Franc-Parler : Un studio en Provence, vous êtes vous-même d’Angers. Est-ce que c’est important de travailler en Province et pas dans une grande ville comme Paris ?Jacques Loussier : C’est pas une obligation, c’est une possibilité. C’est très agréable de travailler dans un studio comme le studio de Miraval car nous sommes justement en plein milieu de la nature et surtout de la nature provençale effectivement, qui est une chose extraordinaire. Mais on peut travailler aussi bien à Paris. Du fait que mes musiciens font d’autres choses à Paris quelquefois, c’est quelquefois préférable d’enregistrer à Paris. Comme ça le soir ils peuvent jouer dans les boites ou autre chose tandis que si on est dans le midi de la France, on peut difficilement monter pour faire un bœuf.Février 2005Propos recueilis : Éric Priou
Le pianiste de jazz Jacques Loussier
Article mis en ligne le 1er février 2005
dernière modification le 25 mai 2023