Jacqueline Danno, l’artisane de la chanson« Je suis d’une famille de marins bretons et dans notre âme, ce qui nous importe, c’est d’être nous-mêmes. » Voilà l’autoportrait d’une chanteuse comédienne qui mène sa carrière loin du tapage. Jacqueline Danno revient au Japon pour un spectacle unique dans le cadre de l’Exposition universelle de Aichi le 16 septembre.Franc-Parler : Avez-vous tout de suite voulu devenir chanteuse ?Jacqueline Danno : Non pas du tout. J’ai d’abord été comédienne. Je voulais d’ailleurs être plus qu’une comédienne, je voulais être une tragédienne. J’ai préparé le Conservatoire d’art dramatique parce que je me voyais très bien jouer des grands rôles et comme j’avais de bonnes petites joues et des grandes nattes, j’ai beaucoup fait rire tout le monde en voulant être tragédienne. Et plus je faisais rire, plus ça me faisait pleurer jusqu’au moment où enfin j’ai, par hasard, joué un rôle dramatique et ensuite, plus jamais on ne m’a demandé de jouer un rôle comique. Je suis partie en province dans un centre culturel, c’était le début de la décentralisation et j’ai commencé là, à apprendre mon métier vraiment. La première pièce que j’ai jouée, c’était Le mariage de Figaro de Beaumarchais. Moi je jouais Fanchette et mon Chérubin dans cette aventure était Delphine Seyrig. Ma vocation de chanteuse, je la dois à un cambrioleur. Ça peut paraître un peu bizarre. Mais quand j’ai joué une pièce, le producteur n’avait pas fini de me payer et j’avais loué une petite maison avec des amis pour les vacances. Et quand j’ai reçu l’argent, à l’époque, vous savez, on était payé par des mandats que nous amenait le facteur, j’ai mis l’argent dans la maison sous une pile d’assiettes et quand je suis revenue, la maison avait été cambriolée et je n’avais plus d’argent. Donc, je suis allée présenter un tour de poèmes dans une boîte à Cannes et évidemment, Cannes en pleine saison, pour dire des poèmes de Lorca ou des choses comme ça… Le monsieur qui tenait cet établissement m’a dit : « Mais vous ne savez pas chanter ? » J’ai dit : « Je ne sais pas vraiment si je sais. » Il me dit : « Apprenez quelques chansons et revenez me voir demain. » Et voilà comment j’ai commencé à chanter, à cause d’un cambrioleur.Franc-Parler : Vous avez appris à chanter au Petit conservatoire de la chanson de Mireille n’est-ce pas ?Jacqueline Danno : Oui, quand je suis revenue, je suis allée chez Mireille parce que j’avais pris goût à la chanson. Le Petit conservatoire de la Chanson, c’était à l’époque, au début ; ça ne passait pas à la télévision, c’était à la radio. Et c’était Mireille qui avait donc eu l’idée d’aider les jeunes à faire leur place dans la chanson. Ce qui fait que l’actuel président de la SACEM, Claude Lemesle, est un ancien de chez Mireille. Il y avait Alice Dona, Françoise Hardy…Enfin tous les gens qui ont fait une carrière, une petite ou une grande carrière dans la chanson, à l’époque, sont passés chez Mireille. Mireille était très dure avec nous. Elle nous disait vraiment nos quatre vérités et c’est ce qui nous rendait service. Elle nous disait : « C’est un métier terrible, c’est un métier difficile, vous aurez des moments de doute absolu, mais si vous y croyez vraiment, peut-être que vous ne serez pas des stars, mais vous serez des bons artisans, c’est beaucoup plus important. »Franc-Parler : Comment ça s’est passé par la suite ?Jacqueline Danno : À la fin de chaque année, Mireille présentait un spectacle avec ceux qu’elle considérait comme de bons élèves. Elle m’a permis de chanter lors du gala de fin année et il y avait là des directeurs artistiques de la compagnie Capitol et ils m’ont engagée. Ils m’ont dit : « Venez faire un essai en studio et puis c’est comme ça que ça a débuté. » Une chose qui m’a aidée : un jour je rentre dans le bureau de mon directeur artistique, Jacques Poisson, qui était le directeur artistique de Piaf, de Gilbert Bécaud, de Tino Rossi. Et moi la petite jeune, je rentre dans le bureau en faisant le numéro de la jeune chanteuse qui vient voir un producteur parce que je croyais que c’était Jacques qui était là. Or au bureau de Jacques, il y avait un autre monsieur que je ne connaissait pas du tout et qui était un metteur en scène de cinéma qui s’appelait Étienne Perrier. Et il m’a dit : « C’est exactement le personnage comme ça dont j’ai besoin. » Et mon premier film que j’ai tourné, ça s’appelait Meurtre en 45 tours, c’était avec Danielle Darrieux et je l’ai tourné tout à fait comme ça par hasard.Franc-Parler : Vous ne dédaignez pas prêter votre voix ou chanter dans des films.Jacqueline Danno : [Rires] Écoutez, ça c’est une histoire extraordinaire et Michel Legrand pourrait vous le confirmer. Je l’ai fait plusieurs fois de faire des doublages mais là, c’était le film de Jacques Demy [Lola]. Et ce qui a été assez extraordinaire, c’est que Michel Legrand m’appelle en me disant : « Écoute Danno, Anouk Aimée a enregistré mais ce n’est pas possible, on ne peut pas sortir ça comme ça. » Donc, il y avait Agnès Varda qui était la femme de Jacques Demy, qui m’avait fait mes premières affiches quand j’étais une jeune vedette Pathé-Marconi, je les retrouve et j’ai doublé Anouk. Mais comme moi, j’étais à l’époque sous contrat d’exclusivité, il n’était pas question que je prive mes camarades d’essayer de les aider mais en même temps je ne pouvais pas moi. Autrement, je risquais un procès. Par contre ce qui a été incroyable, c’est qu’ils ont sorti un disque Anouk Aimée chante Lola. Alors ça, c’était un petit peu spécial.Franc-Parler : Et dernièrement ?Jacqueline Danno : Je viens de sortir un disque, c’est un concert que j’ai fait il y a une dizaine d’années au Trianon. Un concert en direct, bien sûr, et ils ont sorti le disque de ce concert qui avait été fait au profit d’une association de la région lyonnaise qui s’appelle Planète des enfants. C’est pour faire des lieux de vie et de fin de vie pour les petits enfants d’Haïti qui sont atteints du sida et dont les parents sont morts, des choses assez pénibles comme ça. Mes musiciens et moi-même, nous avons donné tous nos droits au profit de cette association.Franc-Parler : Pouvez-vous parler de votre participation au disque nippo-français Le jardin de Monet ?Jacqueline Danno : Si, je vous raconte l’histoire, c’est incroyable. Shuji Kato [président du bureau japonais de l’Association franco-japonaise de la chanson, propriétaire d’un cabaret à chansons] m’envoie une musique en me disant : « Il faut chanter une de mes chansons pour le dixième anniversaire de ma boîte. » Moi, je lui dis : « Je ne peux pas chanter vos musiques, c’est beaucoup trop vocal. » J’ai choisi la plus simple et je me suis dit : « Je n’arriverai à jamais à chanter ça » et puis en plus il n’y avait pas de paroles, il n’y avait même pas l’idée de la parole. Or j’ai demandé à un de mes amis de venir pour qu’on en parle un peu ensemble et il allait repartir. Et je suis chez moi, dans l’escalier dans ma petite maison, et je lui ai dit : « Ça y est, je sais comment ça va s’appeler. Ça va s’appeler Le jardin de Monet. » Mais pourquoi ? Ça, je ne sais pas. L’histoire, elle est partie comme ça. C’est comme si on m’avait tapé sur l’épaule.Franc-Parler : Qu’allez-vous chanter à l’Exposition universelle d’Aichi ?Jacqueline Danno : Il y a une chose que je suis sûre. Je vais chanter une chanson que je n’ai jamais chantée, qui est une chanson ancienne d’un monsieur qui s’appelait Henri Contet, qui a écrit Mademoiselle de Paris, Padam Padam. Et je vais chanter Padam Padam, parce qu’il aurait eu 100 ans cette année. Pour moi, ce sera mon petit clin d’œil à un homme qui a été un grand de la chanson française et qui était un grand ami d’ailleurs de Mireille.Septembre 2005Propos recueillis : Éric Priou
La chanteuse Jacqueline Danno
Article mis en ligne le 1er septembre 2005
dernière modification le 23 mai 2023