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L’artiste contemporain Jean-Pierre Raynaud
Article mis en ligne le 1er novembre 2005
dernière modification le 25 mai 2023
Jean-Pierre Raynaud, des pots aux drapeaux
 
Jean-Pierre Raynaud est un artiste contemporain français qui va au-delà des clivages. Pour preuve, son exposition de Tokyo (du 1er au 18 septembre 2005), où il a mis en présence des drapeaux de plusieurs pays asiatiques, une première dans la région. Il a bien voulu s’exprimer sur son engagement artistique.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Quelle est votre démarche d’artiste ?
Jean-Pierre Raynaud : Ça fait 45 ans que je fais de l’art contemporain. C’est-à-dire que je travaille avec l’art de mon époque. C’est depuis 1962 très exactement et je ne suis pas peintre. J’ai toujours travaillé avec des objets. C’est-à-dire que j’ai pris des objets du réel, des objets de la réalité et je m’en sers comme d’un langage, comme d’un vocabulaire en intervenant le moins possible dessus. C’est-à-dire qu’il y a un minimum d’intervention parce que ça correspond à la signature de l’artiste. C’est assez conceptuel si vous voulez mais pour moi, il est très important de ne pas dénaturer le rapport à ces objets qui sont des codes de communication et qu’on connaît à travers le monde entier. Au début des années 60 par exemple, je travaillais avec des sens interdits, avec la signalisation routière. Je prenais des signaux, des panneaux que je récupérais dans des décharges des banlieues de la ville, à Paris entre autres et je faisais une très légère intervention avec des plaques de bois et je les montrais autrement à travers mon intervention personnelle. J’ai travaillé ensuite avec des pots de fleurs. Parce que je suis à l’origine un paysagiste dans les années 50 et j’ai travaillé avec des pots de fleurs que j’ai remplis de ciment pour montrer la réalité d’un vrai pot de fleurs. Montrer cet objet autrement en les remplissant de ciment. Il ne pouvait plus être utilisé. J’ai travaillé également pendant de très longues années avec du carrelage blanc et j’ai construit à ce sujet-là des maisons, des architectures, sans être architecte, mais pour moi-même. J’ai vécu dans des maisons complètement recouvertes de carreaux de céramique blanche, sols, murs, plafonds.
Et en 1997, j’ai voulu tenter une autre percée avec le drapeau. Parce que le drapeau est un objet aussi de communication internationale et je pensais que c’était l’objet qui pour moi représentait le plus aujourd’hui cet objet de communication mondiale. Dès qu’il y a un conflit, dès qu’il y a une fête dans le sport, dès qu’il y a quelque chose, dès qu’on vend des textiles et tout ça, on met des marques qui possèdent le drapeau du pays pour simplifier. Que ce soit Chine, Taiwan, Belgique ou France. Et on voit l’utilisation avec le drapeau américain aux États-Unis bien entendu quand il y a eu la destruction des tours etc. Donc, pour moi le drapeau est le plus fort vecteur de communication aujourd’hui et je me suis attablé, acharné à travailler sur cet objet qui est un objet pas comme les autres, parce que c’est un objet très chargé de la communication avec tout ce qu’on y met de meilleur et de pire. C’est une sorte de dépotoir en même temps, vous voyez, de poubelle. Je n’ai pas peur des mots à ce sujet-là. Et en même temps, c’est aussi le respect le plus absolu que l’on donne au drapeau. Donc, c’était pour moi très fort parce que je sais que dans le monde entier on reconnaît instantanément les drapeaux des pays. On ne les connaît pas tous mais on sait que ce sont des drapeaux. Et c’est ce défi nouveau, cette ambition nouvelle et c’est pour cette raison que je travaille sur des drapeaux depuis 7 ans.
 
Photo : Hiroshi Noguchi

Franc-Parler : Ce sont de vrais tableaux… drapeaux ?
Jean-Pierre Raynaud : Ce sont de vrais drapeaux. Le lapsus est fait souvent parce que quand on voit le drapeau qui est tendu sur un châssis comme vous les avez vus, on pense instantanément à la peinture. On pense même que peut-être, j’ai peint des drapeaux. En fait, je n’ai jamais peint de drapeau. D’abord, parce que comme je vous le disais, je ne suis pas peintre. Ce n’est pas mon sujet. Je ne suis pas Jasper Johns et je ne fais pas de drapeaux. Par contre, je vais chercher dans les entreprises spécialisées, dans le monde entier, les drapeaux qui sont fabriqués. Et à ce moment-là, je les tends tout simplement sur un châssis d’artiste et je n’interviens surtout pas dessus. Je me dis moins l’artiste met ses mains dessus, plus il laisse l’objet vivre sa vie et moins il apporte son pathos. Ça, ça me paraît très important car comme cela, lorsque vous voyez l’objet, lorsque le public voit l’objet, il voit l’objet réel qui n’a pas été transformé par l’artiste. Par contre, ma signature, c’est de le tendre sur un châssis, pour le montrer comme la peinture, comme un objet que j’ai fait rentrer dans l’art, comme un tableau de Mondrian, comme cet objet où le visuel est incontournable. Parce que les drapeaux, on les voit toujours flotter au vent et en fait, on ne voit jamais la géométrie d’un drapeau. Là, moi, je remontre la vraie géométrie d’un drapeau. C’est-à-dire, c’est une sorte de face à face entre le public et ces symboles et il n’est pas interdit d’y voir de la couleur, il n’est pas interdit d’y voir des symboles forts qui vous répulsent ou qui vous fascinent. C’est une sorte de boîte dans laquelle on met le pire et le meilleur et en même temps, cet objet, je l’ai kidnappé pour le faire rentrer dans l’art. Car au 20e siècle, il y a eu des précédents très célèbres comme Marcel Duchamp avec l’urinoir qu’il a fait rentrer au musée. Mais ce n’est pas vraiment un ready-made, c’est un objet qui rentre dans la vie d’un artiste et qui rentre dans l’art et c’est à moi d’être assez fort pour le faire devenir un objet-Raynaud.
 
Photo : Hiroshi Noguchi

Franc-Parler : Quelles ont été les réactions des ambassades, des pays concernés ?
Jean-Pierre Raynaud : Je n’ai pas encore montré en Corée du Nord les deux drapeaux juxtaposés parce que ça, c’est des projets futurs. J’ai montré à Cuba le drapeau cubain qui rentrait au Palais de la Révolution avec l’aval de Fidel Castro. J’ai montré des drapeaux en Autriche, en Belgique, dans différents pays, en France, bien entendu, au Musée du jeu de paume et tout ça. Alors, il y a toujours quand on touche les signes forts du politique, évidemment, des réactions qui peuvent être épidermiques, mais moi, ce n’est pas mon problème. Ce qui compte pour moi, c’est de respecter le drapeau, ça c’est la priorité parce que sans ça, je n’aurais pas touché au drapeau mais en même temps de dire attention, ce drapeau, il est à tout le monde. Il n’est pas simplement aux ressortissants, pour moi le drapeau français n’appartient pas aux Français, il appartient aux drapeaux. Et je rends une liberté supplémentaire au drapeau en le mettant sur la place publique comme ça, en montrant que cet objet est un objet de la communication internationale. Et dans l’art, c’est une gymnastique qui est un peu acrobatique. Mais en même temps, ca permet aussi d’avoir cette virginité de regard qu’ont les enfants quand ils regardent la page du dictionnaire ou quand on regarde les images d’un livre d’images pour les enfants très petits. C’est-à-dire, avoir cette fraîcheur de regard, pouvoir regarder un vert à côté d’un bleu, tout en sachant qu’il y a des symboles, pouvoir mélanger même, les dictatures et les démocraties, se sentir libre et travailler avec cette liberté.
 
Novembre 2005
Propos recueillis : Éric Priou
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