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Bertrand Tavernier, réalisateur du film Ça commence aujourd’hui
Article mis en ligne le 1er juin 1999
dernière modification le 23 mai 2023
Ça commence aujourd’hui : dire non à la misère
 
Dans son dernier film témoignage Ça commence aujourd’hui, Bertrand Tavernier décrit la lutte quotidienne que livre un enseignant au désarroi et à la déliquescence des tissus familiaux et sociaux que vivent les enfants dont il a la charge. Constat amer sur la situation que subit un Nord touché de plein fouet par la crise et dans l’attente d’une reconversion qui tarde.
 
Franc-Parler : Pourriez-vous en quelques mots tracer l’histoire de ce film ?
Bertrand Tavernier : C’est un film qui est né d’une rencontre avec un homme qui est un poète, un très bon poète et qui est aussi un instituteur depuis 25 ans et un directeur d’école maternelle depuis 8 ans. Et ma fille qui était très intéressée par ses poésies a voulu me le présenter un jour et en parlant, je l’ai fait parler de son métier. Et il y a des choses qu’il m’a racontées qui m’ont tellement bouleversé que je me suis dis qu’il fallait en parler dans un film. Et après quelques jours, je lui ai demandé si ça l’intéressait de participer à un scénario qui parle de ça, de son métier. Et il m’a dit qu’il n’avait jamais rien écrit de narratif, jamais parlé de son métier dans ses livres, qu’il ne faisait que des textes poétiques. Il m’a dit qu’il ne savait pas s’il pourrait le faire et ma fille m’a dit : « Si, je vais l’aider, je vais l’aider. » Et voilà comment c’est parti. Du désir aussi de parler de mon pays, de certains problèmes et de gens qui se battent pour affronter ces problèmes.
 
Franc-Parler : Les enseignants ont-ils toujours le feu sacré comme cet instituteur, Daniel Lefebvre ?
Bertrand Tavernier : Il y en a beaucoup. J’en ai rencontré des masses, pendant les recherches, de gens qui se battent dans des conditions très difficiles, avec un enthousiasme extraordinaire et qui souvent ne sont pas compris par la hiérarchie, qui ont des problèmes avec des institutions. Leur combat n’est pas forcément bien rendu par les journalistes. La directrice de l’école où j’ai tourné était très très proche du personnage que joue Philippe Torreton.
 

Franc-Parler : Pourquoi avez-vous choisi de tourner avec cet acteur en particulier ?
Bertrand Tavernier : J’avais travaillé avec lui plusieurs fois déjà, dans L627 et dans Le capitaine Conan, et j’avais envie de lui offrir un rôle qui soit un peu le contraire de celui de Conan. Je pense que c’est un acteur génial. Il est génial, Philippe Torreton. Je voulais montrer qu’il pouvait interpréter des personnages aux couleurs radicalement différentes et comme Conan, le personnage de Ça commence aujourd’hui a une énergie formidable. Mais au lieu que Conan, c’est une énergie qui est mise au service de la mort, c’est pour tuer, c’est pour détruire, là, c’est mis au service de la vie, c’est pour essayer d’aider, de sauver. Donc, ça me donne un personnage avec des couleurs, une humanité tout à fait différentes, mais la même force intérieure. J’avais très envie de continuer cette collaboration. Quand on a le bonheur d’avoir un acteur aussi moderne et aussi engagé dans ce que veulent dire les films, parce qu’il épouse toutes les idées du film. Et en plus, sa mère était directrice d’école et c’est un peu un hommage à ses parents, ce film. Il y a aussi dans ce film des personnages de femmes et je me suis aperçu d’une chose, c’est que les deux personnages féminins qui entourent le héros touchent énormément le public. Le fait que l’assistante sociale qui vient rejoindre le héros dans sa bataille montre une chose tout à fait claire, et qui pour moi est très importante, c’est que le personnage de Daniel n’est pas un héros solitaire comme on le voit dans les films américains. C’est quelqu’un qui est bousculé, qui est souvent remis en cause par des gens autour de lui, qui a besoin de soutien. C’est quelqu’un qui est aidé aussi très fort par sa compagne. Et là, je suis très content du travail des deux comédiennes Nadia Kaci et Maria Pitarresi.
 

Franc-Parler : Comment s’est passé ce tournage avec les enfants ?
Bertrand Tavernier : Ça a été un tournage magnifique. Tout le monde me disait au départ que ce serait impossible de tourner avec trente enfants de nombreuses scènes et finalement ça s’est passé tout à fait formidablement. Je crois, en grande partie, parce qu’on avait préparé longuement ce tournage, on est venus souvent, on s’est fait connaître des enfants. On n’est pas venus comme une équipe de cinéma qui débarque et qui tout d’un coup impose sa vérité à un ensemble de gens. On est venus aussi écouter les enfants, écouter leurs parents, écouter les gens de cette école. Moi, c’est un travail très modeste, très humble qu’il fallait que je fasse. Il fallait tout le temps que je sois à l’écoute et je crois que ça s’est senti, que du coup, les enfants ont eu envie de nous donner, de nous aider, de nous aimer. De plus, Philippe Torreton a eu un contact extraordinaire avec eux. Mais tous les gens de l’équipe technique ont eu un très bon contact avec eux.
 
Franc-Parler : Il y a d’autres régions touchées par la crise, pourquoi avez-vous choisi le Nord ?
Bertrand Tavernier : Oui, bien sûr. Depuis que e film est sorti, j’ai eu des centaines et des centaines de témoignages pour me dire que le film était juste, était vrai, était complètement authentique. Ces témoignages viennent de tous les coins de France. Mais j’ai choisi le Nord, je pourrais dire, pour plusieurs raisons. D’abord parce que je ne connaissais pas cette région et je trouve qu’il est toujours intéressant de découvrir une région quand on est metteur en scène, de découvrir d’autres paysages, d’autres lieux, d’explorer des endroits de votre pays que vous ne connaissez pas. Ensuite, c’est le pays où a vécu Dominique Sampiero. À partir d’un moment où j’utilisais des bouts de ses expériences, de sa vie, de ses bataillles, je trouve qu’il aurait été extrêmement arrogant de dire : « Bon, je vais prendre un certain nombre d’idées, de scènes que tu m’amènes, mais je vais les mettre dans le sud de la France. » Je trouve qu’il y avait beaucoup de scènes, beaucoup de comportements écrits qui étaient enracinés dans cette région.
 
Franc-Parler : Les institutions sociales ou autres en prennent beaucoup pour leur grade. Vous-ont-elles aidé malgré tout ?
Bertrand Tavernier : L’Éducation nationale m’a aidé, j’ai eu un inspecteur qui m’a donné un coup de main formidable et beaucoup de gens de ces institutions trouvent que le film est tout à fait juste.
 
Franc-Parler : Avez-vous le sentiment de faire bouger les choses ?
Bertrand Tavernier : J’espère un peu : il y a des letttres qui sont envoyées aux ministères, des pétitions. Il y a dans le Nord des instituteurs qui ont chassé leur inspecteur après avoir vu le film. Mais en même temps, j’ai fait ce film parce que Jean Renoir que j’ai connu me disait qu’il y avait des films qu’il fallait faire en pensant qu’on allait changer le monde et puis en même temps, il fallait être sufisamment modeste de dire que si on touchait une dizaine de personnes, c’était un résultat formidable. Il faut à la fois être très ambitieux et très modeste. Mais le film suscite des réactions, les témoignages n’arrêtent pas d’affluer sur le fait que le film touche juste et qu’il dénonce des situations qui font souffrir terriblement les gens. Le film est très souvent appplaudi dans les salles.
 
Franc-Parler : On retrouve le même dénuement de l’esssentiel comme la nourriture qu’à l’époque de Zola, mais dans le même temps, certaines familles possèdent le superflu, un magnétoscope…
Bertrand Tavernier : C’est la contradiction dans la misère. Ce sont des contradictions qui m’ont stupéfait. J’ai visité des endroits où l’on avait l’impression que les enfants n’avaient rien à manger et il y avait des dizaines de cassettes et des télévisions plus belles que celle que j’ai.
 

Franc-Parler : Malgré tout êtes-vous optimiste ? Pensez-vous que tout cela va changer ?
Bertrand Tavernier : La fin du film est ouverte, elle laisse entendre que s’il y a des choses à changer, c’est aux gens qui voient le film de le faire parce que le personnage lui-même a obtenu de toutes petites victoires. Mais simplement ce que dit le film à la fin, c’est qu’il va continuer, mais combien de temps ? C’est un peu à nous d’écrire la fin de l’histoire, aux spectateurs d’écrire la fin de l’histoire. Alors moi, ce qui me rend optimiste, ce sont les réactions sur le film, c’est-à-dire les gens qui tout d’un coup décident de créer une association, décident de se battre dans une école, décident de revenir, de se remettre à militer. Donc, je me dis qu’il y a un désir quelque part de bataille et le fait qu’un film en témoigne, témoigne qu’on ne doit pas se résigner, qu’on ne doit pas abandonner. Eh bien ça, ça peut rendre optimiste. C’est un optimisme qu’il faut nuancer, terriblement nuancer parce que la situation est dure. De toutes façons, même si c’était encore plus terrible, je pense qu’il faudrait continuer à se battre.
 
Juin 1999
Propos recueillis : Éric Priou
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