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Michaël Ferrier, auteur de Fukushima, récit d’un désastre
Article mis en ligne le 1er août 2013
dernière modification le 23 mai 2023
Michaël Ferrier, auteur de Fukushima, récit d’un désastre
 
L’écrivain Michaël Ferrier vit depuis une vingtaine d’années au Japon et enseigne la littérature française à l’université Chuo de Tokyo. Depuis plus de 10 ans, il multiplie les parutions de romans et d’essais. Lui qui « aime vivre à Tokyo mais aimerait mourir à Kyoto, le plus tard possible » donne dans Fukushima, récit d’un désastre, (Gallimard 2012) sa lecture de la triple catastrophe. Il en tire le concept de la demi-vie qui s’applique aux habitants des zones où le nucléaire fait loi.
 

Franc-Parler : Beaucoup de tes livres, la plupart peut-être, sont axés très fortement sur Tokyo, sur le Japon…
Michaël Ferrier : Un bon nombre, pas tout à fait tous parce qu’il y a un essai sur Louis-Ferdinand Céline, par exemple. Il y a un roman qui se passe au Japon, Sympathie pour le fantôme, mais qui se passe aussi un peu en France, à la Réunion, dans beaucoup de pays en fait, un peu partout, j’ai envie de dire. C’est vrai que le Japon, depuis que j’y habite, depuis que j’y vis est vraiment une source quasi inépuisable…
 
Franc-Parler : Fukushima est une ressource plus qu’inépuisable.
Michaël Ferrier : Fukushima, c’était la surprise. Je ne me doutais pas que j’aurais à écrire un livre comme ça un jour, oui.
 

Franc-Parler : Avant Fukushima, est-ce que tu t’intéressais au problème du nucléaire ?
Michaël Ferrier : Assez peu. Disons que j’avais une position que beaucoup de gens, je pense, partagent. J’étais modérément contre, voilà. Donc, je n’avais pas un passé de militant anti-nucléaire, pas du tout non. Je m’intéressais au sujet, j’avais fait, par exemple, des cours sur Hiroshima dans la littérature, à l’université. Donc, je travaillais déjà un petit peu sur ce sujet mais comme pour beaucoup de gens, je pense, l’accident de Fukushima a effectivement lancé beaucoup de pistes de réflexion, à la fois politiques et personnelles. C’est quelque chose qui m’a remué. C’est étonnant parce que je suis d’une génération qui a vécu Tchernobyl. En 1986, j’étais en France au fameux moment où le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à la frontière et j’étais peut-être trop jeune à l’époque, je ne sais pas…Je me souviens très bien d’avoir parlé de ce problème à l’oral de l’École Normale Supérieure. J’étais quand même intéressé par cet aspect-là des choses dès Tchernobyl mais pas d’une manière forte. C’est quelque chose qui m’intéressait mais je n’y étais pas directement impliqué. C’est Fukushima qui m’implique directement parce que là je suis sur place, je vois, j’entends ce qui se passe. Je monte là-haut. Et là, il y a quand même le « tranchant », j’allais dire de l’expérience personnelle qui emporte énormément de choses et qui avive énormément, non seulement les sensations mais la réflexion elle-même. Je pense que si on a vécu ça, on réfléchit très différemment sur le problème. C’est finalement assez banal, c’est-à-dire, on peut penser quelque chose pendant des années de manière très cool ou de manière calme et tout d’un coup, on peut se retrouver face au problème d’une manière beaucoup plus à vif.
 
Franc-Parler : Il y a plusieurs volets, ça se passe dans l’ordre chronologique, mais toi ce qui t’a le plus marqué, c’est Fukushima. Est-ce qu’on peut faire une comparaison entre un tsunami et Fukushima qui prend la suite ?
Michaël Ferrier : Dans le livre, je voulais absolument parler des 3 catastrophes, de cette cascade de catastrophes parce que les Japonais tout simplement – et ceux qui vivaient au Japon à l’époque l’ont vécue comme ça. Dans cet ordre-là, séisme, tsunami, catastrophe nucléaire. Et pendant longtemps, je ne sais pas si tu te souviens, pendant un certain temps en tout cas, ce qui faisait peur au Japon, c’étaient les répliques alors même que les problèmes à la centrale nucléaire avaient déjà explosé, si on peut dire…Donc, j’ai tenu à respecter cet ordre-là parce que ça s’est passé de cette manière-là, voilà. Je n’ai pas voulu faire une reconstruction a posteriori, en dramatisant sur le côté du nucléaire, ça c’est la première chose. En revanche je considère que même si on tient compte du fait qu’il y a eu à ce moment-là trois catastrophes, je considère que la catastrophe nucléaire pose évidemment des problèmes d’une teneur et d’une ampleur autrement considérables que le séisme et que le tsunami. Et que ça aussi, il faut en tenir compte et en rendre compte.
 
Franc-Parler : Est-ce que tu as lu d’autres essais ou des compte-rendus faits par des Japonais sur Fukushima ?
Michaël Ferrier : Alors, au moment où j’écrivais, je m’abstenais le plus possible de lire d’autres textes de Japonais ou d’autres personnes, non seulement sur Fukushima mais sur le nucléaire en général ou sur les séismes pour ne pas me laisser parasiter. Mais ça, c’est quelque chose que beaucoup d’écrivains connaissent. Pour laisser la voie à la petite voix qui essaie de sourdre quand on écrit un livre, il faut un peu s’isoler. Les Japonais le savent bien, eux, puisque nombre d’écrivains japonais avaient développé depuis très longtemps la technique, la méthode du « kanzume ». Tu sais, la boîte de conserve : on va s’isoler quelque part pour écrire. Kawabata faisait ça et d’autres. Mais j’ai lu quand même pour le livre et de manière très ponctuelle, de manière presque utilitaire, on va dire, et ça se retrouve dans le livre, puisqu’il y a quand même des références à la politique japonaise, aux grands textes de la littérature japonaise. Donc, oui, j’ai lu. À petites doses, (sourires)… tout le monde sait que les petites doses ne sont pas nocives.
 
Franc-Parler : Est-ce que tes étudiants à l’université en parlent avec toi ?
Michaël Ferrier : Tout à fait. On discute avec mes étudiants. Je fais un cours cette année sur ce que j’appelle les écrivains de la catastrophe. Ça n’inclut pas seulement les écrivains qui se sont intéressés ou qui s’intéressent aujourd’hui à Fukushima, on parle d’autres catastrophes. Mais on est amenés évidemment à parler de Fukushima, du 11 mars puisque c’est comme ça qu’on l’appelle au Japon. Mais je dois dire que c’est un peu le problème de l’université japonaise : on déplore souvent que les étudiants sont indolents, endormis, on entend souvent ça dans la bouche des professeurs. Je pense que ce serait plutôt aux professeurs de se demander pourquoi leurs étudiants, sont soit-disant indolents. Il n’y a pas de mauvais étudiants, il n’y a que des mauvais professeurs. L’absence de conscience politique et de réflexion politique des étudiants japonais, absence supposée ou constatée, à mon avis, elle vient du fait qu’il est très difficile d’avoir une réflexion politique digne de ce nom à l’intérieur du monde universitaire. Peut-être à l’intérieur de l’ensemble de la société japonaise à propos de ce sujet. Et pas seulement à l’intérieur de la société japonaise : je crois qu’en France, on est bien placés aussi pour savoir ce que c’est qu’un déni de réalité face au problème du nucléaire.
 

Franc-Parler : La demi-vie est un terme scientifique du nucléaire, ça devient quoi au niveau littéraire ?
Michaël Ferrier : Il y avait un petit peu, d’abord, d’ironie et même d’insolence de ma part, à reprendre ce terme qui a fleuri, je ne sais pas si tu te souviens, au moment des événements comme on dit. On parlait de la demi-vie de tel radionucléide, de tel autre, on comparait. On parlait d’ailleurs de choses complètement incomparables, des demi-vies de 8 jours et des demi-vies de 3 millions d’années, je crois, pour le plutonium. Bref, c’était une manière un peu de faire semblant que la chose était scientifiquement contrôlable. Or ce qui m’est apparu, moi, c’est qu’il y avait derrière cette expression, ou à travers cette expression, transporté par cette expression même qui fleurissait dans tous les médias, il y avait quand même un énorme inconscient collectif qui se propageait par ce terme. C’est-à-dire que vraiment, la demi-vie, bien sûr, il y a ce sens technique qui lui est très précis et redoutablement précis mais je l’ai pris moi dans un autre sens, dans un sens métaphorique et en même temps en essayant déjà de commencer à conceptualiser. C’est-à-dire : qu’est-ce qu’on pourrait définir comme une demi-vie, ça se produit quand, où, de quelle manière, par quels canaux, dans quel domaine, mais bon, c’était juste une esquisse de conceptualisation. En ce moment, je travaille sur un autre livre qui essaiera d’être beaucoup plus « philosophique ». Là, c’est un livre différent, c’est un livre d’urgence, de témoignages, de reportage, si on veut. La demi-vie, c’était déjà pour prendre ce terme et montrer qu’il en disait long sur ce qui était en train de se produire et sous des allures de technicité, de scientificité proclamée et même plastronnante, eh bien, l’expression disait tout à fait autre chose. On l’a vue s’installer progressivement mais à une vitesse assez grande. Ce qui se passe aujourd’hui dans le Tohoku. c’est quand même quelque chose qui, il y a 2 ou 3 ans, était absolument inimaginable.
 
Tokyo, le 26 juillet 2013
Propos recueillis : Éric Priou
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