Julie Gavras : La faute à FidelLa vie est belle quand on est une petite fille choyée dans un environnement familial aisé et conservateur. Comment va-t-elle réagir lorsque ses parents se découvrent un engagement politique et social au cœur des changements des années 1970 ? Le long métrage de Julie Gavras, La faute à Fidel, livre le cheminement de cette remise en question des certitudes.Franc-Parler : Le ton de votre film change par rapport aux œuvres de votre père [le réalisateur Costa-Gavras] qui sont plus dramatiques… Pourquoi ?Julie Gavras : Je pense que c’est une question de personnalité aussi et puis même si ça traite de politique, je pense que je ne ferai jamais des films comme mon père. D’abord, parce que je ne suis pas de la même génération, je n’ai pas les mêmes origines et pas forcément les mêmes centres d’intérêt. Et puis parce que c’est l’histoire d’une enfant et que je pense que c’était une situation qui permettait aussi ce ton assez léger parfois. Grave et léger, c’est ce qui m’intéressait.Franc-Parler : Vous partez d’une petite fille modèle, parfois agaçante…Julie Gavras : C’était volontaire. J’ai eu un peu peur au début parce que je me disais…En fait, l’idée c’est de retourner les spectateurs complètement. C’est-à-dire, qu’au début, ils sont un petit peu réticents, face à cette petite fille très princesse et parfois agaçante, comme vous dites et qu’au final, on se rende compte que voilà, on la trouve extrêmement sympathique et qu’on partage avec elle ses moments. C’était effectivement totalement volontaire et c’était un pari parce qu’il peut aussi, j’ai jamais eu d’exemple…Mais vous prenez le risque que les gens soient tellement agacés au début qu’on n’arrive jamais à les retourner et à leur faire changer d’opinion.Franc-Parler : Vous-même, vous étiez quel genre de petite fille ?Julie Gavras : Je pouvais être un peu comme elle mais plus... pas le côté petite princesse, mais le côté assez déterminé, oui comme ça un peu déterminée assez butée. Je devais correspondre à ça.Franc-Parler : Les années 70, ce sont des années-charnières ?Julie Gavras : Oui, je pense que ce sont des années-charnières et ce sont des années, malgré toutes les discussions qu’il peut y avoir parfois autour, je pense que ce sont des années importantes, qu’on estime qu’on soit pour ou contre d’une certaine façon. Pour les femmes, puisque finalement le seul héritage dont on peut encore concrètement mesurer l’intensité aujourd’hui, c’est sur le mouvement de libération de la femme, sur le travail des femmes, sur beaucoup de choses. Et c’est pour ça aussi que c’était important d’avoir pour protagoniste principal une petite fille et pas un petit garçon. Toutes ces idées au départ, elles ne viennent pas de moi, puisqu’à l’origine, c’est un livre italien. Tout ça, ça vient du livre, que ce soit la narration, par le regard de cette petite fille ou même le traitement des années 70, ça vient avant tout du livre, sauf que ça se passait en Italie.Franc-Parler : Ça vous permet d’intégrer beaucoup de choses que vous avez connues dans votre enfance ?Julie Gavras : Non parce que moi, j’ai 10 ans de moins que la petite fille. Moi, j’ai plus connu les années 80 que les années 70. Ça me permet d’intégrer des questions que je me suis posées parce qu’après je n’ai jamais vécu les événements qu’elle a vécus, mais des questions que je me suis posées sur qu’est-ce que ça apporte, ce questionnement politique constant.Franc-Parler : Pour des enfants de cet âge-là, qu’est-ce qu’ils ont pu comprendre par rapport à ce qu’ils ont dit ?Julie Gavras : Benjamin, qui joue le personnage du petit garçon est moins dans les questionnements et tout ça puisque que dans l’histoire, c’est un petit garçon qui n’a aucun problème avec tout ce qui se passe… Nina [l’actrice du rôle principal] en fait, a une grand-mère qui a vécu ces années-là, je sais qu’elle a une jeune grand-mère qui avait 20 ans dans les années 70, donc elles ont beaucoup discuté ensemble. Sa grand-mère a lu le scénario et ensuite, elles ont beaucoup discuté ensemble de tous les points charnières. C’est vrai que c’était difficile pour moi de parler avec elle de tout ça parce que forcément, j’aurais distillé de mes opinions et que c’était pas à moi de le faire ; c’est plutôt en famille à faire ça, je pense.Franc-Parler : Le film vient en partie du livre, est-ce que vous auriez pu transposer l’époque ?Julie Gavras : On aurait pu transposer d’époque mais ce qu’on a perdu, aussi engagés que peuvent être des gens parfois à notre époque, ce qu’on a perdu, c’est cette croyance, d’ordre général qu’on peut changer les choses. Et je pense que si on a un héritage de ces années-là, aujourd’hui les gens qui s’engagent, s’engagent dans l’humanitaire, s’engagent pour aller creuser un puits en Afrique, il n’y a vraiment que des engagements ponctuels aujourd’hui. Plus personne ne pense comme pourraient penser ses parents. Les parents de la petite fille pouvaient globalement changer le monde.Franc-Parler : Vous avez d’autres projets en vue ?Julie Gavras : Je suis en train d’écrire un autre projet qui n’a rien à voir puisque c’est une comédie romantique qui a cette particularité que les protagonistes ont la soixantaine.Franc-Parler : C’est tout l’un ou tout l’autre…Julie Gavras : Voilà. Les enfants, ça suffit. Parce que j’ai fait un documentaire avant ce film dans une classe de CM1 qui était sorti en salle en 2002. Le documentaire m’a été très utile pour juste la direction d’acteur des enfants. J’avais passé un an dans une classe avec des enfants de 9 ans et donc, je savais assez bien comment ça marchait.Franc-Parler : Pour les amadouer…Il y avait des bonbons sur le tournage ?Julie Gavras : Non, non, ça ne fonctionnait pas comme ça. D’ailleurs, je trouve que ça marchait mieux à la sévérité. Les enfants marchent mieux à la sévérité, sans abus, justement, ils trouvent qu’elle est plus juste que le bonbon.Février 2008Propos recueillis : Éric Priou
Julie Gavras, réalisatrice du film La faute à Fidel
Article mis en ligne le 1er février 2008
dernière modification le 25 mai 2023