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Le neurobiologiste Georges Chapouthier
Article mis en ligne le 1er janvier 2012
dernière modification le 23 mai 2023
Georges Chapouthier : Pour les droits des animaux
 
Le neurobiologiste Georges Chapouthier est directeur de recherche au CNRS où il poursuit des travaux sur la mémoire et l’anxiété chez les animaux. Il est également philosophe et s’intéresse à l’animalité et aux droits de l’animal, sujets sur lesquels il a publié de nombreux livres qui font référence.
 

Franc-Parler : Est-ce que l’homme est un animal comme les autres ?
Georges Chapouthier : Alors, l’homme est un animal à la fois comme les autres et différent des autres. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a une frontière poreuse et cette frontière bouge assez souvent. En d’autres termes, il est clair que l’homme est un animal, qu’en tout ce qui concerne sa nature, il n’est pas identique, mais il est comparable aux autres animaux en ce sens qu’il respire, il se reproduit, il mange etc. comme les autres animaux, ou au moins les animaux les plus proches de lui. Les maladies, les pathologies peuvent passer de l’homme aux animaux et réciproquement. Et mieux que cela, la théorie de l’évolution montre que l’homme est issu d’un groupe de primates. Donc, il a des cousins, chimpanzés ou autres. En d’autres termes, en tout ce qui concerne sa nature, l’homme est un animal. Maintenant, en ce qui concerne sa culture, c’est un peu plus compliqué. Les racines de la culture sont présentes chez l’animal en ce sens que chez les animaux les plus évolués, on va trouver des utilisations d’outils, de règles morales, de choix esthétiques, de règles cognitives etc. En d’autres termes, il y a les prémices de ce que nous appelons la culture chez les animaux. Mais il est clair que par son puissant cerveau, l’homme va leur donner une dimension beaucoup plus élevée, beaucoup plus étendue que ne le font même ses cousins proches comme les chimpanzés et donc on bascule dans quelque chose qui va être quelque chose d’un peu autre sur le plan culturel. Les spécialistes des sciences humaines ont raison de souligner que les cultures humaines ont quand même une certaine spécificité par rapport aux cultures animales. Donc, frontières si vous voulez, mais frontières nuancées.
 
Franc-Parler : On parle de plus en plus des droits de l’animal. On légifère, par exemple sur le gavage des oies. Est-ce que c’est nécessaire ?
Georges Chapouthier : Tout à fait. Je suis un partisan des droits de l’animal à ceci près que les droits de l’animal sont déjà parmi nous. Je veux dire, quand par exemple, dans la plupart des pays, il est interdit d’aller torturer un chien par exemple, donc ça donne au chien le droit de ne pas être torturé. Les contraintes légales que l’homme s’impose pour protéger les animaux, elles existent déjà de fait. Le terme de droits de l’animal ne fait qu’étendre quelque chose qui est déjà dans la pratique. Maintenant, je suis de ceux qui pensent qu’il faut effectivement donner davantage de droits aux animaux et qu’il faut notamment que l’homme lui-même limite ses droits lorsque ça nuit à l’animal sans bénéfice direct pour l’homme. Ça, c’est un point important. C’est-à-dire que s’il y a un conflit d’intérêt fondamental entre droits de l’homme et droits de l’animal, comme toute espèce, nous protégerons nos droits d’abord. J’entends par conflit fondamental, bien entendu pas la chasse, la corrida, etc. Ça, c’est pas des conflits fondamentaux. Mais par exemple, un exemple trivial d’abord : si un homme se trouve face à un prédateur, bien sûr, l’humanité prêtera assistance à l’homme plutôt qu’au tigre qui l’attaque évidemment. Même chose si l’homme se trouve face à face avec un parasite qui nuit à sa santé. Alors, il y a un cas plus subtil de ce conflit d’intérêt, c’est la recherche scientifique. C’est le cas où l’homme utilise l’animal, et avec des désagréments pour l’animal, la recherche, elle n’est pas neutre. Il y a des piqûres, des choses comme ça, pour améliorer sa propre santé. Et dans ce cas particulier, tout en étant partisan, un chaud partisan des droits de l’animal, je pense que dans ce cas particulier, on donnera le primat aux droits de l’homme sur les droits de l’animal.
 

Franc-Parler : Est-ce que les droits de l’animal sont liés au fait que l’animal soit plus intelligent par rapport à d’autres, soit plus sensible qu’un autre ?
Georges Chapouthier : Il y a différentes écoles. La majorité des écoles actuelles visent à faire respecter les droits de l’animal en fonction de la notion de douleur ou de souffrance. L’idée, c’est que puisqu’un animal a de la douleur, sur ce plan particulier, il faut le protéger. Voilà la base de la majorité des gens, aussi bien des gens qui font une requête nuancée que ceux qui font une requête radicale parce qu’il y a des écoles très différentes et des positions très différentes dans ce domaine que je ne peux pas développer. C’est ça la base. Moi, je suis de ceux qui pensent que la notion de douleur/souffrance est utile bien entendu, il faut protéger a priori l’animal contre les sources de souffrance mais ça ne suffit pas. En d’autres termes, il faut que pour chaque animal, on lui donne, en quelque sorte, ou on lui laisse un mode de vie, ça revient un peu à les laisser tranquilles, sauf pour les animaux que nous fréquentons directement. Qu’on lui laisse un mode de vie conforme aux besoins de son espèce. Ça veut dire que pour un animal très évolué, comme un chimpanzé, à supposer qu’on soit amené à le conserver en milieu contrôlé, humain, il faut lui laisser à ce moment-là suffisamment d’espace, des jouets pour s’amuser, etc. Donc, ça suppose un statut de type “réserve“ et non pas des jardins zoologiques étriqués comme ceux qu’on connaît maintenant. Il faut donc tenir compte, si vous voulez, des capacités intellectuelles des animaux aussi. Ce n’est pas facile à estimer, on a quelques idées sur quelques “animaux plus intelligents” que les autres, disons les primates, les dauphins, les éléphants, les grands carnivores, les corbeaux, les perroquets etc. Définir précisément les besoins d’une espèce, c’est quelque chose qui n’est pas absolument évident. Ça suppose des connaissances de comportement animal, d’éthologie et la notion de droit de l’animal doit obligatoirement s’appuyer sur des connaissances en éthologie.
 

Franc-Parler : Je reviens plus à vos propres travaux, la recherche sur la mémoire et l’anxiété. Pensez-vous qu’il y a encore beaucoup de choses à apprendre des recherches sur les animaux et qu’on peut appliquer sur l’être humain ?
Georges Chapouthier : Bien sûr, parce qu’on ne connaît pas bien encore tous ces phénomènes cérébraux. On connaît très mal la mémoire. Je pense à l’Alzheimer qui est une grande maladie qui affecte beaucoup de personnes âgées maintenant parce que la longévité s’accroît, on ne connaît pas très bien les structures qui contrôlent l’Alzheimer, donc on ne peut pas vraiment le traiter. On ne peut pas avoir exactement l’Alzheimer humain parce que l’animal ne reproduit jamais exactement l’homme. Mais il y a des modèles pour un certain nombre de conséquences de l’Alzheimer qui sont par exemple l’encombrement du cerveau par certains types de protéines etc. Et donc, on peut imaginer que le modèle animal permettra à terme d’améliorer certaines maladies.
 
Janvier 2012
Propos recueillis : Éric Priou
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