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Léa Fehner, réalisatrice du film Qu’un seul tienne et les autres suivront
投稿日 2012年11月1日
最後に更新されたのは 2023年5月25日
Léa Fehner, réalisatrice du film Qu’un seul tienne et les autres suivront
 
Pour son premier long métrage Qu’un seul tienne et les autres suivront, Léa Fehner a récolté une pluie de récompenses: Prix Louis Delluc du premier film, Prix Michel d’Ornano pour ne citer qu’eux. Son film est un cri, un appel à tenir face aux difficultés de la vie et souligne le courage pour retrouver sa dignité, celui des proches de personnes incarcérées qui se rendent au parloir des prisons.
 
Léa Fehner
©Franc-Parler

Franc-Parler: Vous venez d’une famille du spectacle, vous auriez pu plutôt aller dans cette branche-là?
Léa Fehner: Oui et non parce que je viens d’une famille de théâtre itinérant, donc de théâtre sous le chapiteau. Du théâtre sur la route avec des caravanes, avec les enfants, avec la famille, la vie intime en même temps que le spectacle, etc. Et la compagnie de mes parents était pleine de gens qui parlaient très fort, qui prenaient toute la place et je pense que ça a été ma manière à moi de trouver un temps ma place, de faire un pas de côté de ce monde-là. Peut-être que j’étais plus discrète, plus réfléchie, moins extérieure. Et en même temps, peut-être que, aussi, j’avais peur d’un monde comme ça qui va s’affronter aussi directement avec le public, qui va parader dans les rues parfois désertes des villes avec des costumes. Voilà, peut-être que c’était quelque chose qui m’effrayait un peu. Donc, je me suis détournée un temps pour pouvoir justement commencer à trouver ma manière de parler à l’autre de l’autre, de proposer des histoires. Et en ce moment, j’y reviens puisque mon prochain film sera dans ce monde-là.
 
Franc-Parler: En sortant d’une école de cinéma, proposer un film, un long métrage, ça n’a pas dû être facile…
Léa Fehner: Pour la première expérience, ce n’était pas si dur que ça. Évidemment, j’ai eu un très petit budget, puisque c’est un sujet qui est dur, parce que c’est un premier film, ce n’est pas immédiatement sexy. Parce que c’est aussi, et c’est un choix volontaire, des acteurs aux visages, parfois un peu connus dans le métier, mais quand même des visages nouveaux. Pas des visages qui rapportent de l’argent en tout cas ou qui rassurent les financiers, plutôt des paris, même si c’est tous des comédiens très compétents. Néanmoins à la sortie de l’école, j’avais quand même un scénario abouti, fini et le système de production français est à la recherche, peut-être malheureusement d’ailleurs, surtout de scénarios. Et c’est sur les scénarios que les films se financent. Comme mon scénario était abouti, on a eu un an de recherche de financement et puis on a pu trouver.
 
Franc-Parler: C’est un travail de longue haleine…
Léa Fehner: Oui, mais un an de recherche de financement, c’est très bien. C’est un travail de longue haleine de faire un film. Je mets un certain temps à écrire les scénarios, donc ça ne se fait pas en deux ans, mais plutôt sur une période de quatre ans si je prends l’écriture, la recherche de financement, le tournage et puis la sortie du film. Maintenant, chacun son rythme et c’est suffisamment imposant comme travail pour prendre le temps de pouvoir vivre.
 
Qu’un seul tienne et les autres suivront

Franc-Parler: Vous avez écrit tout le scénario sur l’univers carcéral. Qu’est-ce qui vous a poussée à choisir ce milieu?
Léa Fehner: C’était après deux expériences. L’expérience d’une image, très tôt, alors que j’étais adolescente et que mon collège se trouvait aux alentours d’une prison à Toulouse. On essayait avec toute une bande de copains à chaque fois d’escalader les arbres à côté, de monter dans une espèce de maison blanche abandonnée pour essayer de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. C’était une espèce de jeu qu’on avait dans la bande de copains que j’avais et un jour justement alors qu’on était montés dans cette maison blanche par le toit de laquelle nous arrivions à voir l’intérieur de la prison, nous avons surpris une femme de prisonnier se servant de cette maison comme promontoire pour faire ce qu’on appelle un parloir sauvage. C’est-à-dire crier, parler avec son homme qui était de l’autre côté des barreaux. Parler de leur vie intime, de leur enfant, lui montrer des exercices de gymnastique, mais raconter aussi son amour comme ça au milieu de tout le monde avec les cris qui pouvaient descendre jusqu’à la rue. Cette image-là, moi, m’a beaucoup marquée. C’est quelque chose souterrain que j’ai mis de côté pendant longtemps. Mais après un concours de circonstances, quand j’ai commencé à être étudiante, je me suis retrouvée à vouloir m’engager dans différentes choses de militantisme et à m’engager dans une association qui s’occupait des proches de prisonniers à Fleury-Mérogis. Avec le temps que me permettaient les études, j’ai fait ça pendant deux ou trois ans…
 
Franc-Parler: Ça vous a ouvert des portes quand même…
Léa Fehner: Je ne sais pas si ça m’a ouvert des portes, mais ça m’a fait rencontrer beaucoup d’hommes et de femmes que je n’aurais pas rencontrés ailleurs. Beaucoup d’histoires, beaucoup de gens qui soudain s’épanchaient ou au contraire se taisaient. Des tempéraments très différents et souvent très forts puisque c’étaient tous des hommes et des femmes, qui avaient quelqu’un à l’intérieur de la prison. Qui tenaient avec cette absence, qui aimaient malgré ces murs, malgré cette espèce d’enfermement qu’ils pouvaient ressentir à l’extérieur. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de parler de ça, de les mettre en lumière, ces destins.
 
Qu’un seul tienne et les autres suivront

Franc-Parler: Vous avez filmé à l’intérieur?
Léa Fehner: Je n’ai pas tourné à Fleury-Mérogis parce que finalement, j’ai décidé de tourner à Marseille pour tout un tas de raisons. Pour être face à une ville peut-être plus immédiatement populaire, une ville où les classes sociales réellement se mélangent même dans le centre-ville. Une ville de passage, une ville de voyage où des origines très diverses peuvent se rencontrer. Une ville qu’il me plaisait aussi de filmer surtout en hiver avec sa lumière particulière. Donc, j’ai fait des repérages aux Baumettes qui me paraissait trop centrale par rapport au film qui parlait au contraire de ces prisons qu’on éloigne, loin de la vision, loin des villes etc. J’ai finalement tourné à Tarascon, une prison entre Arles et Tarascon, un grand centre de détention au milieu d’une déchetterie, d’un abattoir et d’une usine de cellulose. Au ban de tout et au milieu des déchets où finalement, je suis tombée sur un directeur de prison, puisque l’ambiance des prisons tient beaucoup à la personnalité de leur directeur, assez ouvert à cette idée, très intéressé; par l’idée justement qu’un film prenne l’axe principal que les familles ne rentrent jamais plus loin que le parloir dans la prison, montre ça, le parloir. Ce qui finalement est assez peu montré au cinéma. Bien sûr, dans le cinéma américain, mais c’est un autre genre, c’est pas les mêmes parloirs d’ailleurs. Après, très sincèrement, je ne me souviens plus si on avait mis dans les versions qu’on lui avait fait lire, l’évasion. Et il est possible que non. Il est possible que nous n’ayons pas mis l’évasion dans la version d’écriture parce que ça, à mon avis, peut-être que ça aurait bloqué au niveau de l’administration pénitentiaire. Donc, on a tourné à l’intérieur. C’était assez drôle, on était filmés par une équipe de vidéastes de la prison, de prisonniers qui filmaient ce qu’il se passait à l’intérieur de la prison. C’était très fort, très puissant de filmer là-bas. C’est comme si tout d’un coup, on en parle, on en parle et toute l’équipe se tait parce que tout d’un coup, elle le vit, elle le traverse. Je me suis retrouvée aussi avec toute une équipe de figurants pour figurer les autres personnes dans les parloirs dont beaucoup en fait connaissaient déjà ce milieu carcéral par des hasards et par des circonstances. Et il y a eu quelque chose qui s’est passé pour cette dernière personne, qui était très fort entre la fiction, l’investissement d’autant plus grand des comédiens qui étaient dans les lieux réels. Les murs nous racontaient ce que les gens avaient traversé: les enfants qui s’ennuyaient et qui dessinaient ou qui au contraire dessinaient parce qu’ils n’arrivaient pas à parler à leur père ou qu’ils n’arrivaient à transmettre ce qu’ils voulaient à leur mère. Tout un tas de petites choses qui nous faisaient transpirer des histoires qui s’étaient passées et puis en même temps ces figurants qui tout d’un coup ont réalisé des scènes que certains parfois avaient traversées. Une espèce d’explosion comme ça de fiction et de vie mélangées qui nous a beaucoup apporté pour toutes ces scènes.
 
Franc-Parler: Votre titre reste énigmatique.
Léa Fehner: Le titre japonais aborde quelque chose qui pour moi est central dans le film, c’est parler d’histoires d’amour. Le français, c’était vraiment l’idée d’avoir une phrase de résistance, comme une exergue du film. Faire un film sur des gens qui essaient de tenir debout et comme dans un jeu de dominos à l’inverse, parce que l’un et l’autre arrivent à se tenir droits, les autres comme ça peuvent aussi se relever, relever la tête, continuer à affronter leur destin. Mais c’est un peu énigmatique, je l’avoue.
 
Novembre 2012
Propos recueillis: Éric Priou
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