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Iris Boudreau, dessinatrice de bande dessinée
Article mis en ligne le 11 mai 2017
dernière modification le 25 mai 2023
L’essor de la bédé québéco-québécoise
 
Un dessin vaut mieux qu’un long discours. Alors pour mieux saisir l’essence du Québec, pourquoi ne pas se plonger dans la lecture de bandes dessinées du cru, intimistes de surcroît. Guidés par la bédéiste Iris, vous deviendrez vite incollables en joual ou en français plus standard.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Pourriez-vous dire tous vos secrets ? Où et comment travaillez-vous ?
Iris Boudreau : Je travaille de la maison, dans ma cuisine parce que j’habite un très petit appartement à Montréal. La plus grande pièce, c’est la cuisine, donc j’ai mon atelier dans ma cuisine. Donc, comme j’aime le dire souvent dans mes conférences, c’est un peu un problème parce que je mange tout le temps. Quand je n’ai pas d’inspiration, derrière moi, il y a le frigo, donc je grignote tout le temps.
 
Franc-Parler : S’il y a une tache sur la bd, c’est volontaire ou…
Iris Boudreau : Probablement pas. Oui, une petite tache de biscuit, un petit rond de café. C’est ça, je travaille de la maison.
 

Franc-Parler : Vous avez décidé comme ça, d’un coup, de devenir dessinatrice de bd ?
Iris Boudreau : Ça fait longtemps que je veux être dessinatrice de bande dessinée, depuis que je suis toute petite. Mais bon, c’était un peu…Quand on est enfant, des fois, on se dit : “Oh, je veux être vétérinaire, je veux être pompier, je veux être astronaute, mais on ne le devient pas nécessairement. Donc, c’était un rêve pour moi mais quand j’ai vieilli après, je pensais pas que c’était un rêve qui pouvait être réalisable. Et puis quand j’ai terminé le cégep qui est l’équivalent en France…C’est les études pré-universitaires. C’est les deux ans qui précèdent l’université. Et puis là je me disais : “Ah, j’aimerais ça, faire de l’animation, du dessin d’animation.” Donc, j’ai cherché autour de chez moi s’ils enseignaient le cinéma d’animation. Et puis il n’y avait que des cours en anglais et tout ça. Donc, je me suis dit : “Tiens, il y a un bac en bande dessinée. Le bac au Québec, c’est les trois premières années d’université. Le bac en bande dessinée, il y a un cours d’animation, je vais prendre ça, ça va être parfait. Puis ben finalement, j’ai fait le bac en bande dessinée et puis je fais pas du tout d’animation. Je fais de la bande dessinée.
 
Franc-Parler : Ce n’est peut-être que partie remise.
Iris Boudreau : Non, après avoir un peu mieux vu ce qu’était le cinéma d’animation, la création de cinéma d’animation, ça ne m’intéresse plus du tout . Car la bande dessinée, c’est vraiment long mais l’animation, c’est encore plus long.
 
Franc-Parler : Je suis français, donc je connais plus les écoles de bd, enfin au niveau du style franco-belge. Et la réalité de la bd au Québec, qu’est-ce qu’il y a ?
Iris Boudreau : La réalité de la bd ou le style des bandes dessinées ?
 

Franc-Parler : Le style, le domaine…
Iris Boudreau : Je pourrais en parler pendant…D’ailleurs les conférences que je fais ici portent entre autres là-dessus. Et puis je pourrais en parler pendant des heures parce qu’il y a beaucoup de choses à dire sur la bande dessinée québécoise. Ça fait pas longtemps qu’on a des éditeurs spécialisés en bande dessinée au Québec. Ça fait depuis le début des années 2000. Avant, il y avait des éditeurs qui publiaient un peu de bande dessinée, mais ce n’était pas que de la bande dessinée. Mais maintenant, on a des éditeurs qui ne publient que de la bande dessinée. Et puis on est passé de zéro à une dizaine en une dizaine d’années. Donc, vraiment la bande dessinée québécoise se développe, il y a de plus en plus d’auteurs. Les gens s’y intéressent de plus en plus. Donc, c’est juste positif pour nous, on est très contents. Puis si on parle des thèmes ou des genres de la bande dessinée québécoise, je dirais que, comme c’est un petit marché, donc les auteurs n’en vivent pas, c’est plutôt un truc qu’on fait à côté, les éditeurs n’imposent pas vraiment leur vision ou ne mettent pas de pression sur les auteurs pour qu’ils fassent quelque chose pour plaire au public ou pour que ce soit plus commercial, commercialisable. Donc, c’est une bande dessinée qui est assez intimiste, qui est assez près de l’auteur. C’est vraiment…je crois que c’est des bandes dessinées qui sont très personnelles.
 
Franc-Parler : C’est ce que vous faites vous-même d’ailleurs.
Iris Boudreau : Oui. C’est ça. Mais je pense que ce que je fais est pas mal à l’image de ce qui se fait en général au Québec. Il y a des auteurs ou des dessinateurs qui font de la bande dessinée de genre. Par exemple : science-fiction, fantastique etc., il commence à s’en publier un peu au Québec, mais jusqu’à maintenant, ces auteurs-là ont plutôt publié en Europe parce que là-bas, c’est plus facile et en plus le marché est plus grand. Et puis c’est plus facile d’en vivre quand on publie en France ou en Belgique. Donc, ces auteurs-là soit vivent au Québec mais exportent leur travail à l’étranger.
 
Franc-Parler : Vous-même, vous êtes publiée donc, chez La Pastèque, par exemple. C’est une maison d’édition indépendante.
Iris Boudreau : Oui, c’est la plus grosse maison d’édition de bandes dessinées au Québec. Ils ont fêté leur quinze ans, l’année passée ou l’année d’avant, je crois. Puis, c’est la maison d’édition qui a le plus de moyens donc ils publient en couleur, couverture rigide si on le veut. C’est de très beaux livres, avec souvent des dos toilés. Puis, une des raisons du grand succès de La Pastèque, c’est un auteur , qui s’appelle Michel Rabagliati. L’AUTEUR de bandes dessinées du Québec, c’est lui qui est le plus connu. Dans la rue, si vous parlez de bande dessinée québécoise avec un badaud, ben il va dire : « Ah oui ben, je connais juste Michel Rabagliati. »
 
Franc-Parler : C’est peut-être vous qui vous déplacez le plus par contre…
Iris Boudreau : Je ne veux pas rentrer dans les détails de la vie de Michel, mais Michel a un peu peur de l’avion, je crois. Mais il commence un peu… Il est allé à Angoulême par exemple parce qu’il avait été nominé pour un prix, mais je pense que ce n’est pas quelqu’un qui aime beaucoup prendre l’avion. Mais Michel fait une série qui s’appelle Paul. Donc, son personnage s’appelle Paul et puis Paul à la campagne, Paul a un travail d’été, un peu comme Martine à la plage, et tout ça. Et puis les Québécois adorent la série Paul. C’est une série qui est très ancrée dans la culture québécoise. C’est-à-dire que Paul, c’est un Québécois, il parle comme un Québécois, il vit des choses comme les Québécois les vivent donc ça rejoint un peu les gens.
 

Franc-Parler : Vous-même, vous avez des personnages ou plutôt des animaux un peu fétiches, les chats, j’ai l’impression.
Iris Boudreau : Oui, je parle souvent de chats dans mes bandes dessinées. Par exemple la bande dessinée que j’ai faite qui eu le plus de succès, que j’ai faite avec ma collègue Zviane, ma collègue et amie Zviane, s’appelle L’ostie d’chat qui est comme le « putain de chat ». C’est ce que ça veut dire.
 
Franc-Parler : C’est comme le « tabernacle ».
Iris Boudreau : Oui , c’est ça, l’ostie, c’est un juron. Et puis, il ne faut pas se fier au titre parce que le chat est très peu important dans cette série de bandes dessinées-là. C’est plutôt un prétexte pour parler de la vie de ces deux gars-là qui ont la garde partagée du chat.
 
Franc-Parler : Vous êtes à fois éditée chez un éditeur indépendant, donc La Pastèque, mais également par des grands éditeurs européens comme Delcourt. Qu’est-ce que ça change pour vous, d’être éditée de ces deux côtés-là, plus l’auto-édition ?

Iris Boudreau : Oui, je touche à tout hein. Et puis même au Québec, je suis éditée chez plusieurs éditeurs aussi. Évidemment, la première chose que ça change, pour une auteure québécoise d’être publiée en France, c’est que ça amène beaucoup plus d’argent. Les éditeurs français ou européens francophones ont beaucoup plus de moyens. Donc, ils sont capables de donner des avances, des droits d’auteur qui seront raisonnables. Au Québec, bon, les éditeurs voudraient bien, mais ils n’ont pas les moyens. Donc, c’est la première chose que ça change pour moi et puis aussi la diffusion. Évidemment, les tirages sont beaucoup plus gros, c’est diffusé dans…il y a tellement de librairies spécialisées en bandes dessinées en France que ça va être vu par un plus grand public. Ceci dit, la bande dessinée L’ostie d’chat qui est publiée chez Delcourt est, un peu comme la série Paul dont je parlais, est très, très québécoise. Ça se passe à Montréal, les personnages parlent comme des Montréalais. Là, en ce moment, je n’utilise pas trop de mots québécois mais dans L’ostie d’chat, oui parce qu’on voulait garder la couleur locale. Et puis ça a été accepté par le directeur de collection, Lewis Trondheim, qui disait : « Oui, oui, tout à fait, on garde ça comme ça. » Mais ça pas été tant apprécié par certains lecteurs qui trouvaient que c’était mal écrit. Ils trouvaient pas ça exotique du tout, au contraire ils disaient : « Ah non, mais non, ça ne m’intéresse pas. » Donc, cette bande dessinée-là a été publiée chez Delcourt en France mais a surtout été vendue au Québec, parce que évidemment, c’est redistribué au Québec.
 
Franc-Parler : Vous importez des bd québécoises au Québec.
Iris Boudreau : C’est ça. Ben, je passe par la France pour ramener mes bandes dessinées au Québec. Mais bon, quand même, même si c’était, je sais pas moi, une centaine de lecteurs français qui avaient apprécié, ça me fait déjà connaître par une centaine de lecteurs français. Ça me fait connaître par les libraires qui sont des joueurs très importants, je pense, dans le marché de la littérature. Et puis, ça me fait voyager aussi et puis c’est ça.
 
Franc-Parler : Alors votre bd, de façon un peu globale, un peu générale a un petit peu, un petit côté, un peu humour noir. Quand on vous voit, on ne pensait pas à un personnage comme ça.
Iris Boudreau : Ah, je cache bien mon jeu . Ben, je pense que je suis un peu à l’image de mes bandes dessinées, je suis très souriante, je suis enjouée, tout ça et puis, j’ai de l’humour, je crois. Mais des fois, à l’intérieur, c’est pas ça. Puis, je pense que mes bandes dessinées sont un peu comme ça. J’ai un style assez mignon en général ou assez rigolo mais des fois comme on le dit, ça fait un contraste.
 

Franc-Parler : Vous avez aussi, en plus de votre travail de dessinatrice de bd, vous avez un travail d’affichiste.
Iris Boudreau : Oui, entre autres. Ben en fait, un travail d’illustratrice. Ça m’arrive de faire des affiches, c’est quelque chose que j’aime beaucoup faire, les affiches. On m’en commande pas assez souvent, mais j’en fais pour le plaisir aussi. Dernièrement, j’ai fait une exposition d’affiches, d’images, de dessins inspirés d’images médiévales. Puis ça a eu beaucoup de succès donc je pense que j’aimerais répéter cette expérience. D’ailleurs, hier j’ai visité le musée Hokusai. C’est lui qui a fait les 36 vues du mont Fuji. Parce là, que je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la carte postale ou l’affiche de ma tournée au Japon est inspirée d’une image de Hokusai. Et puis, j’aimerais peut-être refaire l’expérience de réinterpréter des images comme je l’ai fait avec les images médiévales, mais avec des images de Hokusai.
 
Tokyo, mars 2017
Propos recueillis : Éric Priou
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